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L'interview de Jean-David Morvan

Madeleine Riffaud et Jean-David Morvan (Prix René Goscinny du meilleur scénariste 2022)

“Nous sommes dans un partage unique”


Associé à Madeleine Riffaud, Jean-David Morvan a décidé de raconter, avec Madeleine résistante, la vie de celle-ci dans la Résistance. Le jury du Prix Goscinny a décerné le prix du meilleur scénariste au premier volume de cette superbe série. Les deux auteurs reviennent sur cette récompense remise lors du dernier Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, en mars 2022.

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Jean-David Morvan et Madeleine Riffaud, comment vous-êtes vous rencontrés ?

Jean-David Morvan : Alors que je réalisais ma série Iréna avec Séverine Tréfouël et David Evrard, j’étais assez frustré de ne pas pouvoir rencontrer la véritable Iréna puisqu’elle était décédée. Par hasard, le 8 mai 2017, je suis tombé sur la diffusion de Résistantes, un documentaire dans lequel se trouvait Madeleine Riffaud. J’ai tout de suite été attiré par sa personnalité et j’ai eu envie de lui parler. Pourtant, des documentaires j’en ai vu beaucoup mais il s'agissait de la première fois que j’avais envie d’appeler quelqu’un pour lui parler, pour en savoir plus. J’ai trouvé son numéro de téléphone grâce au journaliste Renaud Saint-Cricq. Mon premier appel fut vite expédié car elle ne voulait pas en entendre parler. Elle m’a répondu que la bande dessinée, elle ne connaissait pas assez, que c’était pour les enfants et que ça ne l’intéressait pas. Elle m’a demandé simplement de la rappeler la semaine d’après. J’ai attendu une quinzaine de jours pour l’avoir de nouveau au téléphone. Là, son discours avait changé. Après avoir discuté avec son ami réalisateur Jorge Amat, il l’avait convaincu de me rencontrer.

Madeleine Riffaud : Au début, j’ai refusé parce que la bande dessinée d’aujourd’hui, je n’y connaissais rien. Et aussi parce que je pensais que la bande dessinée, ce n’était que pour les enfants. J’en ai alors parlé à un ami, Jorge Amat. Il m’a demandé si j’avais accepté et je lui ai répondu que non. Il m’a dit que j’étais bête et il a insisté pour que je le fasse. Et aujourd’hui, je ne regrette pas. Nous avons donc fait cette bande dessinée à deux pour raconter mon histoire.

Madeleine Riffaud, avez-vous été surprise que l’on veuille raconter votre vie en bande dessinée ?

Madeleine Riffaud : Oui, j’ai été très surprise parce que je pensais que ma vie n’allait pas intéresser grand monde.

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Jean-David, que représente Madeleine Riffaud pour vous ?

Jean-David Morvan : J’ai beaucoup réfléchi sur cela depuis que je la connais. Madeleine, c’est Nävis, mon héroïne de Sillage, la série que j’ai créée avec Philippe Buchet. J’ai découvert que Madeleine avait les mêmes traits de caractère que Nävis. Elles ont le même tempérament, la même capacité à agir pour les autres et à changer d'idéologie si elles se rendent compte que leurs idées sont mauvaises. Madeleine, elle est communiste et anticolonialiste. En cela, Nävis lui ressemble.

Madeleine, que représente Jean-David Morvan dans votre vie ?

Madeleine Riffaud : Il m’aide beaucoup. Je m’entends très bien avec lui, avec Eloise de la Maison, sa compagne, et Dominique Bertail. On rigole beaucoup ensemble. Je suis aveugle donc je ne peux pas voir les dessins de Dominique mais je sais qu’ils sont beaux. Il est génial Dominique.

Raconter l’histoire de Madeleine Riffaud, c’est avant tout raconter l’histoire d’une résistante. Quel sens cela a-t-il aujourd’hui ?

Jean-David Morvan : Je pense que cela à toujours un sens. On est admiratif de personnes prêtes à se lever contre un oppresseur ; de montrer aux plus jeunes et aux gens que c’est important de pouvoir dire non. Se soulever, lorsque les circonstances l’exigent, au prix de sa propre vie. C’est un thème qui sera toujours d’actualité.

“Il est important de témoigner par tous les moyens, dont la bande dessinée.”

Est-ce aussi parce qu’il y a de moins en moins de témoins de cette période ?

Jean-David Morvan : C’est l’une des principales raisons pour laquelle je voulais lui parler. Je ne voulais pas laisser passer cette chance de raconter sa vie.

Madeleine Riffaud : Oui, c’est vrai et en plus, je suis la dernière résistante à Paris. Il est important de témoigner par tous les moyens, dont la bande dessinée.

En quoi cette histoire si personnelle était une formidable base pour écrire ce triptyque ?

Jean-David Morvan : C’est un peu comme avec Nävis. Avec Philippe, nous avons envie de raconter sa vie entièrement. Et c’est le même projet avec Madeleine. Sauf que Sillage, c’est une fiction et que Madeleine, c’est du réel. Madeleine, c’est une résistante dans la Résistance mais il y a également plus tard ses rencontres avec Paul Eluard, Pablo Picasso et Hô Chi Minh. Il y a aussi son travail avec Louis Aragon ou celui de grand reporter anticolonialiste en Algérie ou au Vietnam. C’est tout cela que l’on a envie de raconter avec elle, de sa jeunesse à aujourd’hui.

Jean-David Morvan, comme tout le monde a pu le constater dans la vidéo projetée lors de la cérémonie de remise des Fauves, Madeleine Riffaud a un humour et une autodérision extrêmement poussés, cela facilite-t-il vos échanges ?

Jean-David Morvan : Je pense qu’avec Madeleine, nous avons la même énergie, le même humour. Nous disons tous les deux des gros mots au milieu de nos phrases pour choquer un peu les gens qui ont un discours parfois trop construit. Nous avons exactement la même manière de communiquer. C’est pour cela que je peux dire que je ne la vois pas comme une grand-mère. J’ai plutôt un rapport fraternel avec elle. Comme aujourd’hui elle ne peut plus écrire à cause de sa vue, elle parle comme elle pourrait écrire, d’une manière très littéraire. Dans la bande dessinée, elle tutoie les lecteurs, ce qui est assez rare dans le monde du 9e art et c’est ce qui les interpelle directement.

Comme elle a cette fibre littéraire, c’est aussi une véritable conteuse. Elle a envie que les gens l’écoutent…

Jean-David Morvan : C’est tout simplement fabuleux. Lorsque Madeleine est interviewée, je me mets dans un coin et j’écoute, quand bien même je connais son histoire.

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Vous avez reçu à Angoulême le Prix René Goscinny. Que représente cette récompense ?

Jean-David Morvan : René Goscinny, c’est avant tout le scénariste génial mais aussi le rédacteur en chef fabuleux de Pilote. Il a aussi travaillé sur le statut des scénaristes et c’est important. Recevoir le prix Goscinny quand on est scénariste, c’est comme recevoir le prix Dieu quand on est moine.

Madeleine Riffaud : Quand je l’ai appris, j’étais heureuse de recevoir ce prix, surtout que j’aime l’auteur d’Astérix. C’est fou à mon âge !

Jean-David Morvan, en quoi partager ce prix avec Madeleine Riffaud pouvait-il avoir une saveur particulière ?

Jean-David Morvan : C’est une manière aussi de lui dire que j’ai bien fait d’insister lorsque je lui ai proposé le projet alors qu’elle ne voulait pas. Lui dire aussi qu’elle a bien fait de me faire confiance. Elle est maintenant autrice de bande dessinée avec cette série. Elle le sait et ne fait pas les choses à moitié. Par exemple, ensemble, nous avons relu récemment tout le scénario du tome 2 et nous avons changé des petites choses pour que cela fonctionne mieux.

D’ailleurs, il ne s’agit pas de votre première récompense à Angoulême. Vous avez également obtenu deux prix pour Sillage (prix jeunesse 9-12 ans en 2006 pour le tome 8 et l'Essentiel jeunesse en 2008 pour le tome 10). Quelles sont les différences avec celle reçue pour Madeleine résistante ?

Jean-David Morvan : Pour les récompenses jeunesse, c’était surtout génial parce que ces prix étaient décernés par un jury d’enfants. Et c’est aussi génial pour Madeleine résistante parce que c’est le Jury Goscinny et qu’il y a des membres que j’estime beaucoup. Je suis très fier de l’avoir obtenu avec Madeleine, d’avoir passé cinq ans sur cet album, de l’avoir publié, que le public ait apprécié et qu’il ait obtenu ce prix.

Vous avez travaillé avec de nombreuses autrices et de nombreux auteurs. En quoi la rencontre avec Madeleine Riffaud a-t-elle changé votre carrière ?

Jean-David Morvan : Elle a changé au-delà de ma carrière. Elle a changé ma vie mais aussi celle de ma compagne, Héloïse de la Maison. Avec elle, nous sommes dans un partage unique.

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