© Yukito Kishiro / Kodansha Ltd.
Gunnm, l'ange mécanique
En exposant cent cinquante planches qui n’avaient encore jamais quitté le Japon, le Festival d’Angoulême rend hommage à Gunnm. Ce manga culte du début des années 1990, publié aux éditions Glénat, a marqué toute une génération de lecteurs japonais et occidentaux, captivés par l’intensité de son action et la modernité de l’écriture de son auteur, Yukito Kishiro.
Né à Tokyo en 1967, Yukito Kishiro publie à 17 ans son premier récit court dans le magazine Weekly Shonen Sunday. Après plusieurs histoires où transparaît l'influence de Yoshikazu Yasuhiko (Gundam), Kishiro s’émancipe lorsqu’il entame la série Gunnm en 1990, dans la revue Jump. Dans une science-fiction trustée à la fin des années 1980 par Pat Labor, Gunnm Déploie un imaginaire cyberpunk audacieux. Dans les bas-fonds crasseux d’une ville-décharge où l’on vit de récup’, des citoyens cyborgs rêvent d’ailleurs, les yeux rivés vers l’inaccessible cité céleste de Zalem. Ils utilisent la cybernétique pour modeler leur corps selon les besoins, le sculptant à leur image, au point qu’il devient la traduction graphique de leur âme.
Un travail de représentation fascinant qui conduit Yukito Kishiro à élaborer une galerie de monstres, zombies mécaniques et héros aux lignes sans cesse recomposées, au premier rang de laquelle on trouve Gally, héroïne née sans corps et privée de mémoire. Innocente rêveuse autant qu’amazone furieuse, elle affirme son humanité dans l’exercice d’un libre arbitre qui s'exprime dans l’action et la lutte.
Emmenée par ce personnage iconique, sorte de 11 Spartacus tombé du ciel pour libérer un peuple opprimé, la saga s’est emparée de la cybernétique naissante pour en faire un nouveau terrain d’exploration des corps. Ce pur objet de bande dessinée fascine par sa façon de saisir les mouvements frénétiques de son héroïne, les recherches formelles de son auteur se confondant avec celles de sa créature, en quête du geste parfait qui lui rendra la mémoire. Cette tentaculaire fresque postapocalyptique, qui s’étale sur des milliers de planches, reflète aussi depuis trente ans les intuitions, les colères, les doutes et les transformations artistiques d’un auteur happé par son monde plein de rêves et d’absolu. Yukito Kishiro, qui a nourri son œuvre de culture occidentale, influence Hollywood qui lui emprunte régulièrement sa grammaire, James Cameron ayant même produit l’adaptation de Gunnm sur grand écran, sortie en février 2019 sous le titre Alita : Battle Angel.
Après avoir précipité la fin de sa série en 1995 pour raisons personnelles, Kishiro n’aura de cesse d’y revenir. D’abord de biais, en la déclinant en jeu vidéo et en développant des récits courts, puis plus frontalement en écrivant la suite et les préludes, d’abord dans Gunnm Last Order (2000-2014) puis avec Gunnm Mars Chronicle, sur lequel il travaille aujourd’hui.
Au cours du Festival, on pourra admirer comment les corps mécanisés et en mouvement ont permis à Yukito Kishiro d’exprimer son sens inouï du découpage et du dessin cinétique. Avec l’accrochage de longues séquences, cette exposition exceptionnelle de 150 planches originales restituera ce qui reste l’un des plus beaux tours de force du manga et l’un des premiers grands succès du genre en France.