Hommage à Jean-Claude Mézières
Grand Prix de la Ville d’Angoulême en 1984, Jean-Claude Mézières est décédé dans la nuit du 23 janvier 2022 à l’âge de 83 ans. Il était le cocréateur de l’immense série de science-fiction Valérian et Laureline, avec son grand ami Pierre Christin.
Sous les bombes, la naissance d’une grande amitié
Jean-Claude Mézières et Pierre Christin
Né le 23 septembre 1938 à Paris, Jean-Claude Mézières grandit à Saint-Mandé en région parisienne. La vie du futur maître de la science-fiction n’est pas simple pendant la Seconde guerre mondiale. Un étonnant hasard le fait rencontrer Pierre Christin en 1944. À la suite d’une alerte bombardement il se réfugie dans une cave avec sa famille. C’est dans ce contexte qu’il se rencontrent et discutent pour la première fois.
Ensemble, le duo découvre la science-fiction par les “illustrés”. Jean-Claude Mézières se plonge aussi dans la lecture de l’hebdomadaire O.K. et relit à l’envi Le Lotus bleu de Hergé. Viennent ensuite les récits dans le journal Tintin mais surtout dans Spirou. Il est immédiatement attiré par Les Chapeaux noirs, une aventure de Spirou et Fantasio imaginée par André Franquin, à laquelle il rend hommage dans La Grande Poursuite : grand amateur de western, Jean-Claude Mézières y fait écho dans cette première bande dessinée.
L’appel de la bande dessinée
Autoportrait de Jean-Claude Mézières
Six ans après la fin de la guerre 39-45, Jean-Claude Mézières suit des cours à l’école des Arts appliqués à l’industrie et au commerce. Entre ces murs, il devient ami avec Jean Giraud. S’ils ne sont pas encore maîtres de la science-fiction dessinée, ensemble ils sèchent les cours pour aller voir des films au cinéma du coin.
En 1955, c’est enfin le début d’une carrière prometteuse. Le dessinateur soumet Bill le shériff à la rédaction de Coeurs Vaillants. Ce western est alors publié dans les pages de la revue des éditions Fleurus.
Par l’intermédiaire d’André Franquin; Pat Mallet, Jean Giraud et Jean-Claude Mézières rencontrent Joseph Gillain / Jijé, l’auteur de Jerry Spring. Le futur auteur de Valérian et Laureline est comblé, il échange enfin avec l’auteur de son western préféré. Son envie de consacrer ses planches à ce thème est immense, au point de vouloir découvrir les grandes plaines de l’Ouest américain.
Mézières, le cow-boy dessinateur
Après des travaux pour Hachette (Histoires des civilisations), Jean-Claude Mézières décolle direction les Etats-Unis en juin 1965. Il parcourt la côte Ouest, de Seattle à San Francisco. Puis, il rejoint Pierre Christin à Salt Lake City, où le romancier enseigne le surréalisme à l’université. C’est d’ailleurs sur le campus qu’il rencontre Linda avec laquelle il se marie. De leur union naît Emily.
De ses escapades américaines, Mézières garde le goût pour les chevaux. Bon cavalier, il devient même la silhouette des pages de garde de Blueberry de son ami Jean Giraud.
Naissance de Valérian et Laureline : une série pionnière en science-fiction
Jean-Claude Mézières en dédicace lors du Premier festival d’Angoulême en 1974
Son séjour américain achevé, Jean-Claude Mézières regagne la France. Il rencontre alors René Goscinny et Jean-Michel Charlier, les deux rédacteurs en chef du journal Pilote. Avec Pierre Christin, ils leur proposent le script d’une nouvelle série : Valérian et Laureline. Loin des westerns, le duo imagine un space-opera avec deux agents spatio-temporels.
Le 9 novembre 1967, les lecteurs de la revue découvrent les premières planches de cette série pionnière de la science-fiction dessinée. Une série dont les planches sont mises en couleur par Evelyne Tranlé, la sœur du dessinateur.
Au XXVIIIe siècle, Valérian et Laureline sont missionnés pour éclaircir des affaires sur différentes planètes. Les deux agents sillonnent alors l’espace et le temps pour aider là, une Guilde, là, à chasser le dissident Xombul.
La série est novatrice pour l’époque. Dans ses scénarios, Pierre Christin glisse des thématiques encore très peu abordées en bande dessinée à cette période : l’écologie, le féminisme et le pacifisme.
La série est un succès. Elle compte 25 volumes et se vend à plus de 2,5 millions d’exemplaires. Jean-Claude Mézières devient alors un pilier du 9e art. Il publie également des récits dans Métal Hurlant, (A Suivre) et Fluide Glacial.
Affiche officielle de la 12e édition du Festival d’Angoulême
Jean-Claude Mézières, Grand Prix de la ville d’Angoulême en 1984
En 1984, ses pairs l’accueillent au sein de l’Académie des Grands Prix de la ville d’Angoulême. Il y rejoint alors André Franquin, Jijé, Fred, Jean Giraud / Moebius, Paul Gillon et Jean-Claude Forest.
Jean-Claude Mézières et Jean-Claude Forest - au fond - lors du Festival d’Angoulême 1983
Il illustre alors l’affiche officielle du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême l’année suivante, en tant que président de la douzième édition. Le Festival lui rend hommage à plusieurs reprises : en 2013, pour les 40 ans du Festival, une capsule vidéo, Je me souviens, est dédiée à son travail de dessinateur.
Quatre ans plus tard, une grande exposition Valérian, de la case à l’écran est visible à L’Alpha médiathèque, à Angoulême. À l’occasion de la sortie de l’adaptation cinématographique de Valérian et Laureline par Luc Besson - un grand amateur de la série - en juillet de la même année, les festivaliers plongent dans l’univers des agents spatio-temporels.
En 2020, une exposition Dans la tête de Pierre Christin est installée dans le Vaisseau Moebius. Outre les albums scénarisés pour Enki Bilal, la rétrospective accueille des planches de Valérian et Laureline de Jean-Claude Mézières, ainsi que celles de Lady Polaris, du nom du cargo ayant sombré dans la Mer baltique dans les années 1980.
Lors de la même édition, une rencontre autour de Pierre Christin, avec Jean-Claude Mézières, Enki Bilal et André Juillard est organisée par le Festival d’Angoulême.
De gauche à droite : Jean Giraud / Moebius, Fred, François Schuiten et Jean-Claude Mézières lors du Festival d’Angoulême 2010
Jean-Claude Mézières et le cinéma
Féru de films et plus particulièrement de westerns, Jean-Claude Mézières participe à des longs-métrages, sa passion, grâce à son talent de dessinateur. Si Valérian et Laureline ont été adaptés sur grand écran par Luc Besson en 2017 dans le long-métrage Valérian et la Cité des mille planètes, Jean-Claude Mézières avait également travaillé avec le réalisateur sur Le Cinquième élément en 1997, imaginant les décors et notamment les fameux taxis volants.
Le dessinateur a même écrit à Georges Lucas par deux fois. Dans ses lettres, Jean-Claude Mézières dresse des parallèles entre des éléments visuels de Valérian et Laureline et ceux de Star Wars. Pour lui, le Faucon Millenium ressemblait au vaisseau des agents spatio-temporels, le bikini de Princesse Leia avait de faux airs de celui de l’album Le Pays sans étoiles, Watto le ferrailleur pouvait avoir des similitudes avec les Shingouz et le bain de carbonite dans lequel est plongé Han Solo ressemblait à celui dans L’Empire des mille planètes.